dimanche 19 septembre 2010

Comment j'ai filmé la bombe atomique

“One afternoon I was at Lookout Mountain right here in Hollywood, and I got a call from a Woody Mark. He said ‘George, I need you out here tomorrow for a special test.’ I got there that night and he said, ‘Tomorrow morning you’re going to go out with five other guys and you’re going to be standing at ground zero.’ I said, ‘Ground zero?’ He said. ‘Yeah, but the bomb’s gonna go off 10,000 feet above you.’ I said, ‘Well, what kind of protective gear am I going to have?’ He said ‘None.’ I remember I had a baseball hat, so I wore that just in case. He gave me a still camera, and two motion picture cameras. These were 35mm Eyemos. I set up the two Eyemos, and had little trip wires that I could trip with my foot starting about 5 seconds before the blast. And the still camera, I also had a trip wire so that I could trip it. I could get one exposure only. The five other guys were scientists and they volunteered to be there. I wasn’t a volunteer. I didn’t find out until I got there.”

-George Yoshitake (How to Photograph an Atomic Bomb, Peter Kuran, 2006)

Entre 1945 et 1962, les Etats-Unis, suivant leur programme de propagation des arsenaux nucléaires, procèdent à 200 essais dans l’atmosphère, principalement dans le pacifique et le désert du Nevada (le der des der de ces tests datant de 1992 puisqu'on continuait sous terre). George Yoshitake, aujourd'hui âgé de 82 ans, faisait partie de ces cameramen embauchés pour éterniser ces drôles de champignons volants, des bombes à hydrogènes mille fois plus puissantes que les explosions atomiques. Lui et ses films furent laissés dans l'ombre du secret d'Etat pendant 50 ans, jusqu'à ce que Clinton, en 1997, fasse lever le secret défense sur ces documents. La même année, la vingtaine de survivants, - beaucoup d’entre eux étaient morts de cancer - recevaient des honneurs bien mérités de la part de l'American Film Institute à Hollywood. Avant que Bush ordonne d’interrompre le processus suite aux attentats du 11 septembre.

Ces photographes et cameramen purent bénéficier, certes en matière radioactive mais aussi en cinéma, des dernières avancées technologiques, avant que les studios hollywoodiens ne les récupèrent, les militaires ayant toujours tout avant tout le monde.

Pour plus de détails.

samedi 18 septembre 2010

Toujours le ferrotype !


L’art bouffe tout, et c’est pas plus mal. Le ferrotype, inventé par un certain Adolphe Alexandre Martin en 1852, intéresse toujours les artistes. En voici deux, David Strohl et Erica Shires qui ne se lassent pas de faire du tintype. Une plaque de fer enduite de vernis noir puis passée au collodion.

Le ferrotype eut peu de succès en Europe ; il fallut attendre la version de l’américain Hannibal Smith pour que les ventes décollent, en pleine guerre de Sécession. Assez bon marché, elle permit aux gens modestes de se faire tirer le portrait avant le départ du fiston pour la boucherie. Peu fragile, on les envoyait par la poste.

Les photographes contemporains, qui ne visent qu’à exploiter à plein leur mode d’expression, en inventant non seulement une nouvelle façon voir le réel mais une nouvelle réalité visible se sont fait les héritiers de ces ingénieurs, qui eux prétendaient tout au contraire réaliser leur idéal d’un mode de reproduction parfait de la nature.

Photographies: Erica Shires

De la même façon, les célèbres clichés d'hystériques d'Albert Londe (1858-1917), photographe médical dans le service du professeur Charcot à la Pitié Salpétrière n'ont plus la fonction qu'ils avaient, celle d'embaumer l'être humain, mais de représenter autrement, sous une nouvelle forme esthétique, et d'être le témoin précurseur de la photographie elle-même.

Albert Londe: Radiographie de main,
Positif papier, 1898, Collection SFP


vendredi 17 septembre 2010

Dictionnaire du futur proche

L'écrivain canadien Douglas Coupland, qui avait en 1991 popularisé l'expression aujourd'hui désuète de "Generation X" nous a offert récemment dans le New York Times un dico joliment absurde sur nos pratiques culturelles et bizzareries psychiques.

(Je n'ai touché qu'à quelques titres - Titrophobia sans doute - car la plupart m'ont parus assez parlants comme ça et puis l'anglais comme l'allemand à ce que truc agaçant pour synthétiser tout, mais ce n'est peut-être qu'un anti native language speaking blindness de ma part. Quelques commentaires tout de même s'imposaient.)

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"Le truc avec le futur c'est qu'on ne le ressent jamais comme on pense qu'il serait. De nouvelles sensations nécessitent de nouveaux termes. Ces termes sont présentés ci-dessous pour résumer le moment présent".


Anticoupdeveine: situation dans l'univers dans laquelle existent des règles d'action rigides destinées à empêcher les coïncidences d'arriver. Etant donné le nombre infini de coïncidences qui pourraient arriver, très peu d'entre elles surviennent en fait. L'univers existe dans un état de haine de la coïncidence anti-coupdeveine.

Bell's law of telephony: quelque soit la technologie utilisée, votre facture mensuelle de téléphone reste surnaturellement de la même taille (NdT: en référence à Gordon Bell, précurseur du micro-ordinateur).

Bouillon lyrique: les paroles que l'on crée dans sa tête en l'absence de connaissance des paroles d'une chanson réelle.

Christmas-morning feeling: sensation créée par un stimulus de l'amygdale antérieure suscitant en nous une forte sensation d'attente.

Cloud blindness: incapacité de certaines personnes à voir des visages et des formes dans les nuages.

Cols-vides : originellement des employés de la classe-moyenne qui ne seront plus jamais de la classe moyenne et qui n'en finiront jamais avec ça.

Complex separation: théorie selon laquelle, en musique, une chanson nous laisse seulement une chance d'obtenir une première impression. Après cela, le cerveau commence à la décomposer, subdivisant l'expérience musicale en ses divers éléments - vocal, mélodique, etc.

Cover buzz: sensation ressentie en écoutant une reprise d'une chanson que l'on connaît déjà.

Crystallographic money theory: hypothèse selon laquelle l'argent est une condensation ou une cristallisation du temps et de notre propre volonté, les deux caractéristiques qui séparent les êtres humains des autres espèces.

Dénarration: processus par lequel notre propre vie n'est plus ressentie comme étant une histoire.

Déségotisation: diluer volontier notre amour propre et notre ego en accumulant le plus possible d'informations sur Internet (voir aussi Omniscience Fatigue; Re-égotisation).

Deusmania: version extrême du "Christmas Morning Feeling".

Dimanchophobia: peur des dimanche, une condition qui reflète la peur d'un temps non structuré. Connue aussi sous la forme d'anxiété acalandriérique. A ne pas confondre avec la didominicaphobia ou lakyriakephobia, qui sont des Jourduseigneurphobia.

Dysphorie des aéroports : décrit dans quelle mesure le voyage moderne dépouille le voyageur d'un amour propre suffisant pour susciter un besoin d'acheter des autocollants et des bibelots censés chouchouter son moi légèrement érodé (NdT: et plein de conneries détaxées).

Fictive rest : incapacité de beaucoup de gens à s'endormir jusqu'à ce qu'ils aient lu la plus infime partie de fiction.

Flouté zoosomnial : idée que les animaux ne voient probablement pas la différence entre le rêve et l'éveil (NdT: par exemple, devant un plateau de fruits de mer, ou n'importe quoi d'encore vivant).

Frankentime: la manière d'éprouver le temps quand vous réalisez que vous passez la plus grande partie de votre existence avec et dans l'entourage d'un ordinateur et d'Internet.

Gaziniax: un médicament micro-dosé du futur destiné à stopper radicalement des cas spécifiques O.C.D., à savoir dans le cas présent, une compulsion impliquant une incapacité à se convaincre soi-même après son départ que la gazinière est bien fermée (NdT: Mégonax étant prescrit quant à lui contre les hallucinations de mégots allumés dans le sac poubelle de la cuisine.)

Grim truth : vous êtes plus fortiche que la télé. Et alors ?

Humanalia: choses faites par les êtres humains qui existent seulement sur terre et nulle part ailleurs dans l'univers. Cela comprend notamment le Teflon, le NutraSweet, le Lexomil et des morceaux de taille suffisante de l'élément de numéro atomique 43, le technetium.

Ikeasis: dans le quotidien, le désir de s'accrocher à des objets conçus "génériquement". Ce besoin pour des formes limpides et rassurantes est une manière de simplifier sa vie contre l'assaut des informations environnantes.

Instant réincarnation: le fait que la plupart des adultes, quelque soit leur degré de réussite, désirent un changement radical dans leur vie. Cette appétit de réincarnation bien qu'encore vivace, est pratiquement universel.

Internal voice blindness: inaptitude quasi universelle des gens à articuler le ton et la personalité de ce qui forme leur monologue intérieur.

Interruption-driven memory: on ne se souvient que de la circulation des lumières rouges, jamais des vertes. Les vertes nous maintiennent dans le flux, les rouges nous interrompent et nous saoulent.

Intraffinital melancholy vs. extraffinital melancholy: qu'est-ce qu'être le plus seul: être célibataire et seul ou être seul dans une relation finie ?

Intravincular familial silence: nous avons besoin de fréquenter nos familles, non pas que nous ayons tellement d'expériences en commun mais parce qu'elles savent précisément quels sujets éviter.

Karaokeal amnesia: la plupart des gens ne connaissent pas la totalité des paroles d'à peu près toutes les chansons, particulièrement celles qui leur tiennent le plus à coeur (voir aussi Bouillon lyrique).

Limited pool romantic theory: croyance qu'il y a un nombre fini de fois où on peut tomber amoureux, le plus généralement six.

Malfactory aversion: capacité à s'imaginer ce que dans la vie vous faites mal, et donc de vous arrêter de le faire.

Me goggles: inaptitude à se percevoir correctement comme le font les autres (NdT: question: l'insensibilité au ridicule est-elle culturelle ?).

Memesphere: royaume des idées culturellement tangibles.

Omniscience fatigue: surmenage qui survient quand on est capable de connaître la réponse d'à peu près tout online.

Post-human: quoique ce soit que nous deviendrons ensuite.

Proceleration: accélération de l'accélération.

Pseudoalienation: inaptitude des êtres humains à créer d'authentiques situations aliénantes. Tout ce qui est fait par l'homme est de facto l'expression de son humanité. La technologie ne peut être aliénante parce que les hommes la créent. Les technologies véritablement extra-terrestres ne peuvent être créées que par des extra-terrestres. Techniquement, une situation qu'on pourrait décrire comme aliénante est en fait, "humanisante".

Rosenwald's theorem: croyance selon laquelle tous les gens mauvais ont de l'amour propre (NdT: private joke américaine: en référence au dernier ouvrage de la très arty Laurie Rosenwald: "All the wrong people have self-esteem:an inappropriate book for young ladies".)

Situational disinhibition: situations sociales en vertu desquelles on est autorisé à être désinhibé, à savoir des moments de désinhibition culturellement acceptés: en parlant avec des voyants, des chiens ou tout autre animal de compagnie, des étrangers et des patrons de bar, ou avec des jeux de Tarot (NdT: son ordinateur, sa voiture marchent aussi).

Standard deviation: se sentir unique ne prouve pas qu'on l'est, et pourtant c'est par le sentiment d'être unique qu'on s'est convaincu d'avoir une âme (NdT: message d'un lecteur du NYTimes: être un surdoué en math est la façon la plus sûre aux Etats-Unis de se sentir unique).

Star shock: la façon disproportiopnnée avec laquelle rencontrer des célébrités donne l'impression d'être dans un extrait de "Ma vie change" (NdT: vu les cyphoses de la télé, et en référence à W. Allen cité en exergue de ce blog - Secret Story et consorts -, un extrait de "Ma vie de merde" serait peut-être plus approprié).

Re-egotisation: tentative, en général désespérée et vaine, de renverser le processus de déségotisation.

No comment
(Photo: Reuters)


jeudi 26 août 2010

Mais c'est un faux !

Il y a une certaine noblesse à admettre qu’on s’est planté. L’exposition « Close Examination : Fakes, Mistakes and Discoveries » qui se tient à la National Gallery de Londres jusqu’au 12 septembre montre quelques 30 cas - copies, faux manifestes, altérations d’originaux et espèces litigieuses – pour la plupart de sa collection, où l’authenticité fait défaut.

Le souci d’attribuer une œuvre à son « auteur » est l’histoire de toute une tradition méthodologique censée révéler qui se cache derrière une toile, de l’analyse « en détail » de Morelli et Berenson fondée sur la connaissance historique – l’exécution d’une oreille par exemple, assez soulante en elle-même, soulignait un automatisme, une signature stéréotypée permettant d’identifier la main du maître…ou celle de son assistant. Jusqu’aux diagnostiques contemporains établis à l’aide de la microscopie optique et des composés chimiques. Les musées et les galeries, parce qu’ils tiennent à rester crédibles, dépensent sans compter en expertises de toute sorte, afin que ne soit laisser aucun doute possible sur la paternité d’une œuvre.

Dans la série « contrefaçon », on trouve ce tableau étonnant, acquis par le musée en 1923, et attribué dans un premier temps au cercle de Melozzo da Forli (1438-1494) …représentant trois personnages (portrait de groupe ci-dessous) qu’on croirait dessinés par Norman Rockwell ! Certes, on connaissait peu de choses du style de Melozzo da Forli dans les années 20 du siècle dernier mais tout de même. Malgré une certaine incrédulité générale et après un festival d’expertises et de contre-expertises, il fallut attendre 1960 pour que la supercherie soit attestée, et cela grâce à une historienne du costume, Stella Mary Newton, qui soulignait le caractère foncièrement anachronique des vêtements ! En 1996, l’expertise chimique du tableau permit d’établir que les pigments utilisés ne pouvaient être acquis avant le XIXème siècle même si le faussaire connaissait extrêmement bien les modes d’exécution picturale de la Renaissance italienne.

Cela dit, comme le précise la notice, le manque de recul et l’idée d’une Renaissance « hors du temps », nous rendent plus vulnérables aux astuces de nos contemporains. Il n’empêche, on se prend à admirer le savoir-faire de ces peintres cupides, qui resteront à jamais anonymes, faute d’avoir été honnêtes. Ou ayant fait de leur anonymat, un bénéfice plutôt qu'un tort. « La vierge et l’enfant avec un ange », passé pour une œuvre de Francesco Francia, est un faux, qu’une expertise récente situe entre 1850 et 1900. Un faux passé de mode du coup, certes, mais quel faux ! Illustrant à merveille les propos d'Alfred Lessing (What's wrong with a forgery ?) selon lesquels la valeur et le mérite esthétiques ne sont pas une affaire de morale.

Mais qu’est-ce qu’un faux ? Le célèbre Rhinocéros de Dürer fut abondamment copié, comme d’ailleurs la quasi totalité de son œuvre gravée, la question étant de savoir s’il s’agissait de reproduction d’originaux – qui sont des copies légitimes- ou de contrefaçons. Derrière le faux, il y a la tromperie, volontaire et parfois lucrative. Derrière la copie, il n’y a rien que la preuve de la notoriété d’un artiste.

Tant que l’artiste était inconnu, le copiste se souciait peu de l’identité de l’auteur et reprenait le motif comme un mode de représentation réaliste de la nature approprié au manuel zoologique, d’autant plus que Dürer n’avait pas signé la gravure. Un sujet dépourvu soit disant de style et donc anonyme. Mais la renommée de l’artiste allait tout bouleverser en faisant d’une mode de reproduction fidèle de la nature un style inimitable et des copistes des faussaires, faisant de la question de l’attribution une question essentielle.

Autrement dit, si vous êtes petit, inconnu, anonyme, alors il faudra considérer l’existence de vos faussaires, surtout s’ils sont célèbres, comme un honneur alors que copier une célèbrité est un scandale.

Mais peut-on copier n’importe quelle œuvre d’art ? Pourrait-on copier Fontaine par exemple, qui, je le rappelle, est un urinoir en faïence « créé » en 1917 par Marcel Duchamp et signé « Richard Mutt »? Imagine t-on quelqu’un voler Fontaine pour le revendre et ni vu ni connu remettre un autre urinoir en lieu et place de l’ancien ? George Dickie, et dans une certaine mesure, Nelson Goodman, répondraient probablement par la négative, puisqu’ils estiment que c’est l’institution et le contexte qui font l’œuvre, à savoir une certaine catégorie sociologique représentée par des musées, galeries, collectionneurs, experts, critiques, etc., et un cadre muséographique, celui de l’exposition. Hors du musée, Fontaine n’est donc rien d’autre qu’un urinoir.

D’abord refusé par la société des artistes indépendants de New-York à laquelle Duchamp faisait partie, le ready-made fut acheté par le couple de mécènes Arensberg en plein buzz, avant que ces derniers, volontairement ou non, ne l’égarent (avec d’autres ready-made, une pelle à neige, un égouttoir notamment). C’est en 1963, lors de l‘expo Dada au Pasadena Museum of Art de Los Angeles que Duchamp propose un urinoir tout neuf, mais au fond la même œuvre, Fontaine. Dans l’art conceptuel, c’est l’idée qui compte, et non l’objet et on ne peut copier une idée. Soit.

En même temps, il y a fort à parier que si Fontaine était volé et remplacé par un autre urinoir, l’institution justement se mettrait en quatre pour retrouver le bon urinoir – l’original, et ne se contenterait pas d’en refourguer un autre en douce. Car Duchamp, à son corps défendant, est bel et bien devenu un grand maître, et son urinoir (dont il existe à ce jour 8 exemplaires), un fétiche inestimable de notre Culture, un objet sacré du monde de l’art.

Souvenons-nous qu'en 2006, lors de l'exposition Dada au Centre Pompidou, un certain Pierre Pinoncelli avait poignardé l'urinoir, non par dégoût mais par goût - c'était un happening. Mais le musée n'apprécia guère, qui l'assigna en justice pour vandalisme. Sans doute que l'acte artistique de monsieur Pinoncelli n'était pas suffisamment institutionalisé... Le plus drôle c'est que l'arrêt rendu par la Cour d'appel décrivait Fontaine comme, je cite, "un bien destiné à l'utilité ou à la décoration publique et appartenant à une personne publique ou chargé d'une mission de service publique, en l'espèce le Centre National d'Art et de Culture Georges Pompidou". Il y a un je ne sais quoi de freudien dans ce terme "publique" répété trois fois dans l'arrêt de la Cour, si on s'avise que justement le public a encore énormément de mal à avaler Fontaine. Au final, l'auteur du délit écopa d'une amande de 14.352 euros (soit en gros 185 000 de moins que ce que réclamait le musée). Si seulement Duchamp était encore là ! Il aurait suffi de lui en demander un autre.

Encore plus radical serait de faire de la copie une œuvre d’art originale, et c’est ce qu’a fait Sherrie Levine, en rephotographiant des clichés célèbres comme ceux d’Edward Weston ou encore de Walker Evans, réalisés en 1936, de la famille Burroughs et compilé dans l’ouvrage « First and Last ». On a ici affaire à une reproduction parfaite qu’aucune analyse chimique ou je ne sais quel gadget ultra-sophistiqué ne pourrait démasquer. La différence entre l’original de Evans et la copie, elle-même original de Sherrie Levine, provient non pas de l’objet lui-même mais de son mode de réalisation.

La copie d’artistes célèbres est d’ailleurs devenu un courant artistique à part entière, le bien nommé « Appropriation Art »…

Ci-dessous une photographie, non pas de Walker Evans, non pas de Sherrie Levine mais de Michael Mandiberg, réalisé en 2001.



Ah qu'on s’amuse bien dans la photo !


vendredi 20 août 2010

A l'attention des daltoniens

Source: Akiyoshi Kitaoka, Department of Psychology, Ritsumeikan University, Kyoto.

Si vous ne voyez rien qui bouge, alors c'est sûr vous l'êtes.

mardi 27 juillet 2010

photographie: retoucher est-ce trahir ?

C’est tellement bien fait maintenant avec les moyens qu’on a que quand on le sait on est content de le savoir. Pour la publicité, on est habitué, des mannequins divisées en 3 avec des jambes de 4 mètres, ça on regarde d’un air lasse. Mais l’information c’est plus embêtant, et plus passionnant aussi. Car trahit-on nécessairement la réalité en retouchant une photographie ? Pas sûr.

Sur le site d’Arrêt sur Images on apprend que l’hebdomadaire british, Oh combien soucieux de sa rigueur éditoriale, The Economist, a retouché sa photo de Une du 19 juin représentant Obama sur une des plages de Louisiane baignant comme des milliers d’autres dans la merde toxique déversée par le groupe pétrolier BP. Non pas recadré comme ça se fait tout le temps, mais retouché, en effaçant la personne qui s’entretenait avec lui , une honnête habitante des lieux, Charlotte Randolph, en compagnie du représentant des garde-côtes, l’amiral Thad W. Allen (qui lui aurait sauté même en cas de recadrage).

Un autre site très recommandable, celui de l’Observatoire de la censure, nous rappelle que l’agence Reuters avait en août 2006 viré le photographe libanais Adnan Hajj, correspondant Reuters au Proche-Orient depuis dix ans, pour avoir ajouté des panaches de fumée au Photoshop sur sa photo (le bouton « clone » super facile). La photo montrait un raid israélien sur Beyrouth, au cas où on n’aurait pas compris comment ça barde à Beyrouth.

Dans un communiqué, l’agence Reuters précise qu’elle « a une politique stricte et s'oppose à toute modification, suppression, altération, ajout d'une de ses images sans autorisation préalable de Reuters et si nécessaire des personnes concernées".

« Sans autorisation préalable de Reuters », l’agence ne nie donc pas que ces retouches sont parfois nécessaires. Et pour cause…

Car pour un photographe de reportage la situation est plus complexe qu’il n’y paraît : Christian Frei, dans un film documentaire remarquable War photographer (2001) montrait comment le reporter de guerre, James Nachtwey, falsifiait ses photos pour mieux coller à ce qu’il avait vu. Au contraire de ce que suppose certains théoriciens sur le réalisme photographique, comme Kendall Walton, une photographie n’est pas transparente : elle ne capte pas la richesse perceptive du réel et encore moins la subjectivité émotionnelle de celui qui la prend, elle produit des percepts que la scène photographiée n’avait pas. Qui plus est, sous les tropiques courroucés des pays en guerre, il est possible qu’elle lui paraitra fade…fausse. Et un logiciel de retouche d’image apparaîtra comme la meilleure manière de combler ces lacunes. On lui reprochera donc de tromper. Pourquoi ? Sans doute parce qu’on part du principe que justement une photo restitue le réel avec exactitude, comme si faire une mise au point et régler la sensibilité, la vitesse d’obturation et la profondeur de champs n’était pas déjà un acte de tromperie ! Que la réalité soit plus contraignante pour un photographe que pour un peintre n'empêche pas que la photographie est aussi un art et que la manipulation lui est co-substantielle. Cette ambiguité ne peut qu'être un problème pour celui qui utilise cet art pour informer. Un logiciel de retouche d’image n’est pas plus trompeur que l’appareil photographique lui-même. D’une certaine manière il le prolonge, l’affaire étant essentiellement une question de degré.

Avec viré Adnan Hajj était sans doute inévitable mais était-ce juste ?

dimanche 25 juillet 2010

La femme se rebiffe

Le nouveau premier ministre japonais Naoto Kan s'est trouvé une attachée de presse hors pair en la personne de sa cousine et épouse depuis 40 ans , Nobuko, qui vient de sortir un livre intitulé Qu'est-ce qui va changer au juste au Japon après que tu sois devenu Premier Ministre ? Et que répond en substance Nobuko ? Ben rien.
Diplômée de la prestigieuse Université privée pour filles Tsuda, spécialisée dans les relations internationales, l'anglais et les mathématiques puis de l'Université Waseda, l'épouse du premier ministre n'est pas du genre Geisha. Sur tous les fronts politiques et véritable stratège, c'est elle qui aurait poussé son mari, alors ministre de la santé, à révéler la responsabilité de l'état dans l'affaire du sang contaminé et ainsi déstabiliser le gouvernement Hashimoto pour son plus grand bien à lui.

Mais rien ne va plus. Car au pays du soleil levant madame Kan frappe là où ça fait mal, à savoir la réputation, là où précédemment Veronica Lario, l'épouse du Cavaliere entendait mettre fin à son inertie en tapant dans la caisse de son richissime mari, la bonne réputation de Silvio n'étant définitivement plus à faire. On s'arrange avec ce qu'on peut.
Et que dit celle que son mari appelle "mon opposition à la maison": que son mari, ancien activiste de gauche, soixante-huitard, féministe, écolo (pour un portrait détaillé), serait "meilleur en numéro 2 ou numéro 3 plutôt qu'au sommet", qu'il est un piètre orateur, qu'il s'habille mal et que sa réforme fiscale est nulle.
Comparée à Hilary Clinton ou Michelle Obama qui furent pour leur mari des soutiens de campagne de premier plan, madame Kan par son comportement polémique sait se distinguer. A t-elle sorti ce livre pour se faire mousser ? Ou serait-ce un nouveau tour de passe de passe censé donner au Premier ministre les allures d'un homme ordinaire, et lui faire de la publicité?

Et on se plaît à imaginer qu'au pays des Kleine Franzosen, une Carliko Sarkoko sortirait un livre intitulé Qu'est-ce qui a changé au juste en France après que tu sois devenu Président? et qu'elle réponde en substance ce que tout le monde croit savoir aujourd'hui: Ben c'est pire.
Qu'il ne sait pas s'habiller, qu'il est piètre orateur, que sa réforme fiscale est nulle, (...) qu'une Patek ne sauvera pas les retraites ni lire les classiques ne sauvera le service public, (...) que les Rolex continueront de briller en Suisse et que les gens de rien n'ont plus que leurs yeux pour pleurer.




samedi 24 juillet 2010

Censeur, quand tu nous tiens !

L’exposition de dessins « Quand les illustrateurs de jeunesse dessinent pour les grands » qui devait se dérouler du 19 mai au 19 juillet dernier à la bibliothèque départementale de la Somme sise à Amiens, a été censurée sous prétexte que certains dessins « étaient vecteurs d'une image dégradante de la femme », dixit Christian Manable, censeur solo et président du conseil général porté à gauche donc, le même Christian Manable qui avait inauguré l’expo.

Sont visés une vingtaine d’artistes ayant prêtés gracieusement leurs œuvres, parmi lesquels Tomi Ungerer, Nicole Claveloux, Lionel Koechlin, Bruno Heitz.

La commissaire de l’exposition, Janine Kotwica, par ailleurs spécialiste du livre pour la jeunesse (faudrait peut-être la virer) et soutenue par l’Observatoire de la liberté de création, a demandé la réouverture de l’exposition et l’impression du catalogue.

Christian Manable, pour répondre aux attaques, ajouta que « certaines images ne permettent pas de faire de distinction entre femme et enfant et nous ne tenons pas à ce qu’on nous fasse de mauvais procès. » Reste à savoir de qui avait peur l'élu PS de la Somme: de la vindicte publique ou de la droite qui entend remettre à la mode cette bonne vieille loi dite de "l'atteinte aux bonnes moeurs" à l'intention des artistes.

Parions que Christian Manable, désavoué à droite à gauche et surtout par son parti aille brûler quelques cierges à la cathédrale d’Amiens afin qu’échoue cette vile initiative.

Et encore une...

Une œuvre d’art peut-elle être immorale ?

Du 1er octobre au 17 janvier 2009, se déroulait l’exposition Pop Life : Art in a Material World au musée Tate Modern de Londres. Or l’exposition fut fermée, sur ordre de la police, dite de l’Obscene Publications Unit (chargée de traquer sans merci les publications obscènes). Car s’y trouvait exposée une photographie de Richard Prince datée de 1975, représentant l’actrice Brooke Shields alors âgée de 10 ans. La photographie, intitulée « Spiritual America » montre la jeune actrice nue, maquillée et huilée, elle se tient debout dans l’atmosphère vaporeuse du bain. Le regard est frontal mais le corps est de biais. Ce pourrait être le corps d’un jeune garçon. L’image est à tous égard troublante, ce contraste entre la féminité outrancière du visage et le corps enfantin, presque asexué déréalise le corps pour en faire une marsienne. Mais est-elle pour autant obscène ? Et qu’est-ce qu’une image obscène ?

La présentation de l’exposition précisait : « Please be aware that some works in this exhibition are of a challenging and sexual nature. Admission to three of the rooms is restricted to over-18s."

Mais être adulte ne suffisait pas.

Il semble que la police des mœurs artistiques londonienne se soit centrée exclusivement sur le corps nu de l’enfant et son attitude soit-disant lascive. On pourrait donc lui reprocher de voir du sexe là où il n’y en a pas. On pourrait lui reprocher aussi son paternalisme en s’arrogeant illégitimement le droit d’autoriser autrui à apprécier ceci ou cela, de s’ériger en maître du bon goût. On pourrait lui reprocher d’ignorer que le sujet d’une œuvre d’art n’est pas grand chose mais que la forme est beaucoup plus, on pourrait la trouver simpliste en s’imaginant que contempler la photo d’une enfant nue a le pouvoir pervers de vous rendre pédophile (si elle l’avait, ce ne pourrait être qu’en éveillant des inclinations qui lui seraient préexistantes.) Il est très facile de reconnaître un pédophile devant une photo telle que « Spiritual America », c’est le seul qui se masturbe. Certes, les pédophiles sont connus pour collectionner, dans le meilleur des cas, des photos d’enfants nus mais qu’un spectateur puisse ressentir des émotions troublantes à la vision de la photo de Brooke Shields qu’il avait consenti à voir ne l’incitera pas à devenir pédophile, à moins que la pédophilie reconnue d’un bon nombre d’ecclésiastiques soit due au panel abondant d’enfants nus sur toile venus illustrer et glorifier leur foi?

Historiquement, si l’on avait jugé comme étant de la « pornographie enfantine » toutes les représentations d’enfants nus en position lascive, les musées et les églises n’auraient plus qu’à fermer leurs portes. Les membres de l’Eglise chrétienne, apostolique et romaine ne sont pas connus que pour le sacrement des catéchumènes et nombreux sont ceux, anciens enfants de cœur ou orphelins, qui attendent que la justice des hommes leur soit rendue. Mais le facteur incitatif, s'il y en a, se trouve du côté de la promiscuité collégiale, de la condamnation du sexe et de son corrélat, l’obligation d'abstinence, pas dans celui de l’art.

National Gallery, London

Que dirait de ce tableau de Bronzino, Le Triomphe de Vénus, ici avec la main baladeuse de Cubidon, enfant joufflu au derrière rebondi, les agents de l’Obscene Publications Unit ? Sans doute rien de différent de ce que purent dirent en leur temps les membres de la hiérarchie catholique et royale du XVIème siècle, puisqu’après avoir été commandé par François Ier, le tableau fut censuré pendant des siècles. Décrit par Vasari dans son ouvrage Vie de Bronzino comme « une œuvre ambitieuse, dont la symbolique hermétique comme le jeu raffiné, volontairement froid et artificiel, des couleurs et des formes sont typiques du maniérisme », l’œuvre passa moult fois sous les manteaux avant d’atterrir à la National Gallery de Londres sans que personne, pas même les agents de l’Obscene Publications Unit, ne trouve à redire.