samedi 24 juillet 2010

Une œuvre d’art peut-elle être immorale ?

Du 1er octobre au 17 janvier 2009, se déroulait l’exposition Pop Life : Art in a Material World au musée Tate Modern de Londres. Or l’exposition fut fermée, sur ordre de la police, dite de l’Obscene Publications Unit (chargée de traquer sans merci les publications obscènes). Car s’y trouvait exposée une photographie de Richard Prince datée de 1975, représentant l’actrice Brooke Shields alors âgée de 10 ans. La photographie, intitulée « Spiritual America » montre la jeune actrice nue, maquillée et huilée, elle se tient debout dans l’atmosphère vaporeuse du bain. Le regard est frontal mais le corps est de biais. Ce pourrait être le corps d’un jeune garçon. L’image est à tous égard troublante, ce contraste entre la féminité outrancière du visage et le corps enfantin, presque asexué déréalise le corps pour en faire une marsienne. Mais est-elle pour autant obscène ? Et qu’est-ce qu’une image obscène ?

La présentation de l’exposition précisait : « Please be aware that some works in this exhibition are of a challenging and sexual nature. Admission to three of the rooms is restricted to over-18s."

Mais être adulte ne suffisait pas.

Il semble que la police des mœurs artistiques londonienne se soit centrée exclusivement sur le corps nu de l’enfant et son attitude soit-disant lascive. On pourrait donc lui reprocher de voir du sexe là où il n’y en a pas. On pourrait lui reprocher aussi son paternalisme en s’arrogeant illégitimement le droit d’autoriser autrui à apprécier ceci ou cela, de s’ériger en maître du bon goût. On pourrait lui reprocher d’ignorer que le sujet d’une œuvre d’art n’est pas grand chose mais que la forme est beaucoup plus, on pourrait la trouver simpliste en s’imaginant que contempler la photo d’une enfant nue a le pouvoir pervers de vous rendre pédophile (si elle l’avait, ce ne pourrait être qu’en éveillant des inclinations qui lui seraient préexistantes.) Il est très facile de reconnaître un pédophile devant une photo telle que « Spiritual America », c’est le seul qui se masturbe. Certes, les pédophiles sont connus pour collectionner, dans le meilleur des cas, des photos d’enfants nus mais qu’un spectateur puisse ressentir des émotions troublantes à la vision de la photo de Brooke Shields qu’il avait consenti à voir ne l’incitera pas à devenir pédophile, à moins que la pédophilie reconnue d’un bon nombre d’ecclésiastiques soit due au panel abondant d’enfants nus sur toile venus illustrer et glorifier leur foi?

Historiquement, si l’on avait jugé comme étant de la « pornographie enfantine » toutes les représentations d’enfants nus en position lascive, les musées et les églises n’auraient plus qu’à fermer leurs portes. Les membres de l’Eglise chrétienne, apostolique et romaine ne sont pas connus que pour le sacrement des catéchumènes et nombreux sont ceux, anciens enfants de cœur ou orphelins, qui attendent que la justice des hommes leur soit rendue. Mais le facteur incitatif, s'il y en a, se trouve du côté de la promiscuité collégiale, de la condamnation du sexe et de son corrélat, l’obligation d'abstinence, pas dans celui de l’art.

National Gallery, London

Que dirait de ce tableau de Bronzino, Le Triomphe de Vénus, ici avec la main baladeuse de Cubidon, enfant joufflu au derrière rebondi, les agents de l’Obscene Publications Unit ? Sans doute rien de différent de ce que purent dirent en leur temps les membres de la hiérarchie catholique et royale du XVIème siècle, puisqu’après avoir été commandé par François Ier, le tableau fut censuré pendant des siècles. Décrit par Vasari dans son ouvrage Vie de Bronzino comme « une œuvre ambitieuse, dont la symbolique hermétique comme le jeu raffiné, volontairement froid et artificiel, des couleurs et des formes sont typiques du maniérisme », l’œuvre passa moult fois sous les manteaux avant d’atterrir à la National Gallery de Londres sans que personne, pas même les agents de l’Obscene Publications Unit, ne trouve à redire.

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