jeudi 26 août 2010

Mais c'est un faux !

Il y a une certaine noblesse à admettre qu’on s’est planté. L’exposition « Close Examination : Fakes, Mistakes and Discoveries » qui se tient à la National Gallery de Londres jusqu’au 12 septembre montre quelques 30 cas - copies, faux manifestes, altérations d’originaux et espèces litigieuses – pour la plupart de sa collection, où l’authenticité fait défaut.

Le souci d’attribuer une œuvre à son « auteur » est l’histoire de toute une tradition méthodologique censée révéler qui se cache derrière une toile, de l’analyse « en détail » de Morelli et Berenson fondée sur la connaissance historique – l’exécution d’une oreille par exemple, assez soulante en elle-même, soulignait un automatisme, une signature stéréotypée permettant d’identifier la main du maître…ou celle de son assistant. Jusqu’aux diagnostiques contemporains établis à l’aide de la microscopie optique et des composés chimiques. Les musées et les galeries, parce qu’ils tiennent à rester crédibles, dépensent sans compter en expertises de toute sorte, afin que ne soit laisser aucun doute possible sur la paternité d’une œuvre.

Dans la série « contrefaçon », on trouve ce tableau étonnant, acquis par le musée en 1923, et attribué dans un premier temps au cercle de Melozzo da Forli (1438-1494) …représentant trois personnages (portrait de groupe ci-dessous) qu’on croirait dessinés par Norman Rockwell ! Certes, on connaissait peu de choses du style de Melozzo da Forli dans les années 20 du siècle dernier mais tout de même. Malgré une certaine incrédulité générale et après un festival d’expertises et de contre-expertises, il fallut attendre 1960 pour que la supercherie soit attestée, et cela grâce à une historienne du costume, Stella Mary Newton, qui soulignait le caractère foncièrement anachronique des vêtements ! En 1996, l’expertise chimique du tableau permit d’établir que les pigments utilisés ne pouvaient être acquis avant le XIXème siècle même si le faussaire connaissait extrêmement bien les modes d’exécution picturale de la Renaissance italienne.

Cela dit, comme le précise la notice, le manque de recul et l’idée d’une Renaissance « hors du temps », nous rendent plus vulnérables aux astuces de nos contemporains. Il n’empêche, on se prend à admirer le savoir-faire de ces peintres cupides, qui resteront à jamais anonymes, faute d’avoir été honnêtes. Ou ayant fait de leur anonymat, un bénéfice plutôt qu'un tort. « La vierge et l’enfant avec un ange », passé pour une œuvre de Francesco Francia, est un faux, qu’une expertise récente situe entre 1850 et 1900. Un faux passé de mode du coup, certes, mais quel faux ! Illustrant à merveille les propos d'Alfred Lessing (What's wrong with a forgery ?) selon lesquels la valeur et le mérite esthétiques ne sont pas une affaire de morale.

Mais qu’est-ce qu’un faux ? Le célèbre Rhinocéros de Dürer fut abondamment copié, comme d’ailleurs la quasi totalité de son œuvre gravée, la question étant de savoir s’il s’agissait de reproduction d’originaux – qui sont des copies légitimes- ou de contrefaçons. Derrière le faux, il y a la tromperie, volontaire et parfois lucrative. Derrière la copie, il n’y a rien que la preuve de la notoriété d’un artiste.

Tant que l’artiste était inconnu, le copiste se souciait peu de l’identité de l’auteur et reprenait le motif comme un mode de représentation réaliste de la nature approprié au manuel zoologique, d’autant plus que Dürer n’avait pas signé la gravure. Un sujet dépourvu soit disant de style et donc anonyme. Mais la renommée de l’artiste allait tout bouleverser en faisant d’une mode de reproduction fidèle de la nature un style inimitable et des copistes des faussaires, faisant de la question de l’attribution une question essentielle.

Autrement dit, si vous êtes petit, inconnu, anonyme, alors il faudra considérer l’existence de vos faussaires, surtout s’ils sont célèbres, comme un honneur alors que copier une célèbrité est un scandale.

Mais peut-on copier n’importe quelle œuvre d’art ? Pourrait-on copier Fontaine par exemple, qui, je le rappelle, est un urinoir en faïence « créé » en 1917 par Marcel Duchamp et signé « Richard Mutt »? Imagine t-on quelqu’un voler Fontaine pour le revendre et ni vu ni connu remettre un autre urinoir en lieu et place de l’ancien ? George Dickie, et dans une certaine mesure, Nelson Goodman, répondraient probablement par la négative, puisqu’ils estiment que c’est l’institution et le contexte qui font l’œuvre, à savoir une certaine catégorie sociologique représentée par des musées, galeries, collectionneurs, experts, critiques, etc., et un cadre muséographique, celui de l’exposition. Hors du musée, Fontaine n’est donc rien d’autre qu’un urinoir.

D’abord refusé par la société des artistes indépendants de New-York à laquelle Duchamp faisait partie, le ready-made fut acheté par le couple de mécènes Arensberg en plein buzz, avant que ces derniers, volontairement ou non, ne l’égarent (avec d’autres ready-made, une pelle à neige, un égouttoir notamment). C’est en 1963, lors de l‘expo Dada au Pasadena Museum of Art de Los Angeles que Duchamp propose un urinoir tout neuf, mais au fond la même œuvre, Fontaine. Dans l’art conceptuel, c’est l’idée qui compte, et non l’objet et on ne peut copier une idée. Soit.

En même temps, il y a fort à parier que si Fontaine était volé et remplacé par un autre urinoir, l’institution justement se mettrait en quatre pour retrouver le bon urinoir – l’original, et ne se contenterait pas d’en refourguer un autre en douce. Car Duchamp, à son corps défendant, est bel et bien devenu un grand maître, et son urinoir (dont il existe à ce jour 8 exemplaires), un fétiche inestimable de notre Culture, un objet sacré du monde de l’art.

Souvenons-nous qu'en 2006, lors de l'exposition Dada au Centre Pompidou, un certain Pierre Pinoncelli avait poignardé l'urinoir, non par dégoût mais par goût - c'était un happening. Mais le musée n'apprécia guère, qui l'assigna en justice pour vandalisme. Sans doute que l'acte artistique de monsieur Pinoncelli n'était pas suffisamment institutionalisé... Le plus drôle c'est que l'arrêt rendu par la Cour d'appel décrivait Fontaine comme, je cite, "un bien destiné à l'utilité ou à la décoration publique et appartenant à une personne publique ou chargé d'une mission de service publique, en l'espèce le Centre National d'Art et de Culture Georges Pompidou". Il y a un je ne sais quoi de freudien dans ce terme "publique" répété trois fois dans l'arrêt de la Cour, si on s'avise que justement le public a encore énormément de mal à avaler Fontaine. Au final, l'auteur du délit écopa d'une amande de 14.352 euros (soit en gros 185 000 de moins que ce que réclamait le musée). Si seulement Duchamp était encore là ! Il aurait suffi de lui en demander un autre.

Encore plus radical serait de faire de la copie une œuvre d’art originale, et c’est ce qu’a fait Sherrie Levine, en rephotographiant des clichés célèbres comme ceux d’Edward Weston ou encore de Walker Evans, réalisés en 1936, de la famille Burroughs et compilé dans l’ouvrage « First and Last ». On a ici affaire à une reproduction parfaite qu’aucune analyse chimique ou je ne sais quel gadget ultra-sophistiqué ne pourrait démasquer. La différence entre l’original de Evans et la copie, elle-même original de Sherrie Levine, provient non pas de l’objet lui-même mais de son mode de réalisation.

La copie d’artistes célèbres est d’ailleurs devenu un courant artistique à part entière, le bien nommé « Appropriation Art »…

Ci-dessous une photographie, non pas de Walker Evans, non pas de Sherrie Levine mais de Michael Mandiberg, réalisé en 2001.



Ah qu'on s’amuse bien dans la photo !


vendredi 20 août 2010

A l'attention des daltoniens

Source: Akiyoshi Kitaoka, Department of Psychology, Ritsumeikan University, Kyoto.

Si vous ne voyez rien qui bouge, alors c'est sûr vous l'êtes.