mardi 27 juillet 2010

photographie: retoucher est-ce trahir ?

C’est tellement bien fait maintenant avec les moyens qu’on a que quand on le sait on est content de le savoir. Pour la publicité, on est habitué, des mannequins divisées en 3 avec des jambes de 4 mètres, ça on regarde d’un air lasse. Mais l’information c’est plus embêtant, et plus passionnant aussi. Car trahit-on nécessairement la réalité en retouchant une photographie ? Pas sûr.

Sur le site d’Arrêt sur Images on apprend que l’hebdomadaire british, Oh combien soucieux de sa rigueur éditoriale, The Economist, a retouché sa photo de Une du 19 juin représentant Obama sur une des plages de Louisiane baignant comme des milliers d’autres dans la merde toxique déversée par le groupe pétrolier BP. Non pas recadré comme ça se fait tout le temps, mais retouché, en effaçant la personne qui s’entretenait avec lui , une honnête habitante des lieux, Charlotte Randolph, en compagnie du représentant des garde-côtes, l’amiral Thad W. Allen (qui lui aurait sauté même en cas de recadrage).

Un autre site très recommandable, celui de l’Observatoire de la censure, nous rappelle que l’agence Reuters avait en août 2006 viré le photographe libanais Adnan Hajj, correspondant Reuters au Proche-Orient depuis dix ans, pour avoir ajouté des panaches de fumée au Photoshop sur sa photo (le bouton « clone » super facile). La photo montrait un raid israélien sur Beyrouth, au cas où on n’aurait pas compris comment ça barde à Beyrouth.

Dans un communiqué, l’agence Reuters précise qu’elle « a une politique stricte et s'oppose à toute modification, suppression, altération, ajout d'une de ses images sans autorisation préalable de Reuters et si nécessaire des personnes concernées".

« Sans autorisation préalable de Reuters », l’agence ne nie donc pas que ces retouches sont parfois nécessaires. Et pour cause…

Car pour un photographe de reportage la situation est plus complexe qu’il n’y paraît : Christian Frei, dans un film documentaire remarquable War photographer (2001) montrait comment le reporter de guerre, James Nachtwey, falsifiait ses photos pour mieux coller à ce qu’il avait vu. Au contraire de ce que suppose certains théoriciens sur le réalisme photographique, comme Kendall Walton, une photographie n’est pas transparente : elle ne capte pas la richesse perceptive du réel et encore moins la subjectivité émotionnelle de celui qui la prend, elle produit des percepts que la scène photographiée n’avait pas. Qui plus est, sous les tropiques courroucés des pays en guerre, il est possible qu’elle lui paraitra fade…fausse. Et un logiciel de retouche d’image apparaîtra comme la meilleure manière de combler ces lacunes. On lui reprochera donc de tromper. Pourquoi ? Sans doute parce qu’on part du principe que justement une photo restitue le réel avec exactitude, comme si faire une mise au point et régler la sensibilité, la vitesse d’obturation et la profondeur de champs n’était pas déjà un acte de tromperie ! Que la réalité soit plus contraignante pour un photographe que pour un peintre n'empêche pas que la photographie est aussi un art et que la manipulation lui est co-substantielle. Cette ambiguité ne peut qu'être un problème pour celui qui utilise cet art pour informer. Un logiciel de retouche d’image n’est pas plus trompeur que l’appareil photographique lui-même. D’une certaine manière il le prolonge, l’affaire étant essentiellement une question de degré.

Avec viré Adnan Hajj était sans doute inévitable mais était-ce juste ?

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