dimanche 19 septembre 2010

Comment j'ai filmé la bombe atomique

“One afternoon I was at Lookout Mountain right here in Hollywood, and I got a call from a Woody Mark. He said ‘George, I need you out here tomorrow for a special test.’ I got there that night and he said, ‘Tomorrow morning you’re going to go out with five other guys and you’re going to be standing at ground zero.’ I said, ‘Ground zero?’ He said. ‘Yeah, but the bomb’s gonna go off 10,000 feet above you.’ I said, ‘Well, what kind of protective gear am I going to have?’ He said ‘None.’ I remember I had a baseball hat, so I wore that just in case. He gave me a still camera, and two motion picture cameras. These were 35mm Eyemos. I set up the two Eyemos, and had little trip wires that I could trip with my foot starting about 5 seconds before the blast. And the still camera, I also had a trip wire so that I could trip it. I could get one exposure only. The five other guys were scientists and they volunteered to be there. I wasn’t a volunteer. I didn’t find out until I got there.”

-George Yoshitake (How to Photograph an Atomic Bomb, Peter Kuran, 2006)

Entre 1945 et 1962, les Etats-Unis, suivant leur programme de propagation des arsenaux nucléaires, procèdent à 200 essais dans l’atmosphère, principalement dans le pacifique et le désert du Nevada (le der des der de ces tests datant de 1992 puisqu'on continuait sous terre). George Yoshitake, aujourd'hui âgé de 82 ans, faisait partie de ces cameramen embauchés pour éterniser ces drôles de champignons volants, des bombes à hydrogènes mille fois plus puissantes que les explosions atomiques. Lui et ses films furent laissés dans l'ombre du secret d'Etat pendant 50 ans, jusqu'à ce que Clinton, en 1997, fasse lever le secret défense sur ces documents. La même année, la vingtaine de survivants, - beaucoup d’entre eux étaient morts de cancer - recevaient des honneurs bien mérités de la part de l'American Film Institute à Hollywood. Avant que Bush ordonne d’interrompre le processus suite aux attentats du 11 septembre.

Ces photographes et cameramen purent bénéficier, certes en matière radioactive mais aussi en cinéma, des dernières avancées technologiques, avant que les studios hollywoodiens ne les récupèrent, les militaires ayant toujours tout avant tout le monde.

Pour plus de détails.

samedi 18 septembre 2010

Toujours le ferrotype !


L’art bouffe tout, et c’est pas plus mal. Le ferrotype, inventé par un certain Adolphe Alexandre Martin en 1852, intéresse toujours les artistes. En voici deux, David Strohl et Erica Shires qui ne se lassent pas de faire du tintype. Une plaque de fer enduite de vernis noir puis passée au collodion.

Le ferrotype eut peu de succès en Europe ; il fallut attendre la version de l’américain Hannibal Smith pour que les ventes décollent, en pleine guerre de Sécession. Assez bon marché, elle permit aux gens modestes de se faire tirer le portrait avant le départ du fiston pour la boucherie. Peu fragile, on les envoyait par la poste.

Les photographes contemporains, qui ne visent qu’à exploiter à plein leur mode d’expression, en inventant non seulement une nouvelle façon voir le réel mais une nouvelle réalité visible se sont fait les héritiers de ces ingénieurs, qui eux prétendaient tout au contraire réaliser leur idéal d’un mode de reproduction parfait de la nature.

Photographies: Erica Shires

De la même façon, les célèbres clichés d'hystériques d'Albert Londe (1858-1917), photographe médical dans le service du professeur Charcot à la Pitié Salpétrière n'ont plus la fonction qu'ils avaient, celle d'embaumer l'être humain, mais de représenter autrement, sous une nouvelle forme esthétique, et d'être le témoin précurseur de la photographie elle-même.

Albert Londe: Radiographie de main,
Positif papier, 1898, Collection SFP


vendredi 17 septembre 2010

Dictionnaire du futur proche

L'écrivain canadien Douglas Coupland, qui avait en 1991 popularisé l'expression aujourd'hui désuète de "Generation X" nous a offert récemment dans le New York Times un dico joliment absurde sur nos pratiques culturelles et bizzareries psychiques.

(Je n'ai touché qu'à quelques titres - Titrophobia sans doute - car la plupart m'ont parus assez parlants comme ça et puis l'anglais comme l'allemand à ce que truc agaçant pour synthétiser tout, mais ce n'est peut-être qu'un anti native language speaking blindness de ma part. Quelques commentaires tout de même s'imposaient.)

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"Le truc avec le futur c'est qu'on ne le ressent jamais comme on pense qu'il serait. De nouvelles sensations nécessitent de nouveaux termes. Ces termes sont présentés ci-dessous pour résumer le moment présent".


Anticoupdeveine: situation dans l'univers dans laquelle existent des règles d'action rigides destinées à empêcher les coïncidences d'arriver. Etant donné le nombre infini de coïncidences qui pourraient arriver, très peu d'entre elles surviennent en fait. L'univers existe dans un état de haine de la coïncidence anti-coupdeveine.

Bell's law of telephony: quelque soit la technologie utilisée, votre facture mensuelle de téléphone reste surnaturellement de la même taille (NdT: en référence à Gordon Bell, précurseur du micro-ordinateur).

Bouillon lyrique: les paroles que l'on crée dans sa tête en l'absence de connaissance des paroles d'une chanson réelle.

Christmas-morning feeling: sensation créée par un stimulus de l'amygdale antérieure suscitant en nous une forte sensation d'attente.

Cloud blindness: incapacité de certaines personnes à voir des visages et des formes dans les nuages.

Cols-vides : originellement des employés de la classe-moyenne qui ne seront plus jamais de la classe moyenne et qui n'en finiront jamais avec ça.

Complex separation: théorie selon laquelle, en musique, une chanson nous laisse seulement une chance d'obtenir une première impression. Après cela, le cerveau commence à la décomposer, subdivisant l'expérience musicale en ses divers éléments - vocal, mélodique, etc.

Cover buzz: sensation ressentie en écoutant une reprise d'une chanson que l'on connaît déjà.

Crystallographic money theory: hypothèse selon laquelle l'argent est une condensation ou une cristallisation du temps et de notre propre volonté, les deux caractéristiques qui séparent les êtres humains des autres espèces.

Dénarration: processus par lequel notre propre vie n'est plus ressentie comme étant une histoire.

Déségotisation: diluer volontier notre amour propre et notre ego en accumulant le plus possible d'informations sur Internet (voir aussi Omniscience Fatigue; Re-égotisation).

Deusmania: version extrême du "Christmas Morning Feeling".

Dimanchophobia: peur des dimanche, une condition qui reflète la peur d'un temps non structuré. Connue aussi sous la forme d'anxiété acalandriérique. A ne pas confondre avec la didominicaphobia ou lakyriakephobia, qui sont des Jourduseigneurphobia.

Dysphorie des aéroports : décrit dans quelle mesure le voyage moderne dépouille le voyageur d'un amour propre suffisant pour susciter un besoin d'acheter des autocollants et des bibelots censés chouchouter son moi légèrement érodé (NdT: et plein de conneries détaxées).

Fictive rest : incapacité de beaucoup de gens à s'endormir jusqu'à ce qu'ils aient lu la plus infime partie de fiction.

Flouté zoosomnial : idée que les animaux ne voient probablement pas la différence entre le rêve et l'éveil (NdT: par exemple, devant un plateau de fruits de mer, ou n'importe quoi d'encore vivant).

Frankentime: la manière d'éprouver le temps quand vous réalisez que vous passez la plus grande partie de votre existence avec et dans l'entourage d'un ordinateur et d'Internet.

Gaziniax: un médicament micro-dosé du futur destiné à stopper radicalement des cas spécifiques O.C.D., à savoir dans le cas présent, une compulsion impliquant une incapacité à se convaincre soi-même après son départ que la gazinière est bien fermée (NdT: Mégonax étant prescrit quant à lui contre les hallucinations de mégots allumés dans le sac poubelle de la cuisine.)

Grim truth : vous êtes plus fortiche que la télé. Et alors ?

Humanalia: choses faites par les êtres humains qui existent seulement sur terre et nulle part ailleurs dans l'univers. Cela comprend notamment le Teflon, le NutraSweet, le Lexomil et des morceaux de taille suffisante de l'élément de numéro atomique 43, le technetium.

Ikeasis: dans le quotidien, le désir de s'accrocher à des objets conçus "génériquement". Ce besoin pour des formes limpides et rassurantes est une manière de simplifier sa vie contre l'assaut des informations environnantes.

Instant réincarnation: le fait que la plupart des adultes, quelque soit leur degré de réussite, désirent un changement radical dans leur vie. Cette appétit de réincarnation bien qu'encore vivace, est pratiquement universel.

Internal voice blindness: inaptitude quasi universelle des gens à articuler le ton et la personalité de ce qui forme leur monologue intérieur.

Interruption-driven memory: on ne se souvient que de la circulation des lumières rouges, jamais des vertes. Les vertes nous maintiennent dans le flux, les rouges nous interrompent et nous saoulent.

Intraffinital melancholy vs. extraffinital melancholy: qu'est-ce qu'être le plus seul: être célibataire et seul ou être seul dans une relation finie ?

Intravincular familial silence: nous avons besoin de fréquenter nos familles, non pas que nous ayons tellement d'expériences en commun mais parce qu'elles savent précisément quels sujets éviter.

Karaokeal amnesia: la plupart des gens ne connaissent pas la totalité des paroles d'à peu près toutes les chansons, particulièrement celles qui leur tiennent le plus à coeur (voir aussi Bouillon lyrique).

Limited pool romantic theory: croyance qu'il y a un nombre fini de fois où on peut tomber amoureux, le plus généralement six.

Malfactory aversion: capacité à s'imaginer ce que dans la vie vous faites mal, et donc de vous arrêter de le faire.

Me goggles: inaptitude à se percevoir correctement comme le font les autres (NdT: question: l'insensibilité au ridicule est-elle culturelle ?).

Memesphere: royaume des idées culturellement tangibles.

Omniscience fatigue: surmenage qui survient quand on est capable de connaître la réponse d'à peu près tout online.

Post-human: quoique ce soit que nous deviendrons ensuite.

Proceleration: accélération de l'accélération.

Pseudoalienation: inaptitude des êtres humains à créer d'authentiques situations aliénantes. Tout ce qui est fait par l'homme est de facto l'expression de son humanité. La technologie ne peut être aliénante parce que les hommes la créent. Les technologies véritablement extra-terrestres ne peuvent être créées que par des extra-terrestres. Techniquement, une situation qu'on pourrait décrire comme aliénante est en fait, "humanisante".

Rosenwald's theorem: croyance selon laquelle tous les gens mauvais ont de l'amour propre (NdT: private joke américaine: en référence au dernier ouvrage de la très arty Laurie Rosenwald: "All the wrong people have self-esteem:an inappropriate book for young ladies".)

Situational disinhibition: situations sociales en vertu desquelles on est autorisé à être désinhibé, à savoir des moments de désinhibition culturellement acceptés: en parlant avec des voyants, des chiens ou tout autre animal de compagnie, des étrangers et des patrons de bar, ou avec des jeux de Tarot (NdT: son ordinateur, sa voiture marchent aussi).

Standard deviation: se sentir unique ne prouve pas qu'on l'est, et pourtant c'est par le sentiment d'être unique qu'on s'est convaincu d'avoir une âme (NdT: message d'un lecteur du NYTimes: être un surdoué en math est la façon la plus sûre aux Etats-Unis de se sentir unique).

Star shock: la façon disproportiopnnée avec laquelle rencontrer des célébrités donne l'impression d'être dans un extrait de "Ma vie change" (NdT: vu les cyphoses de la télé, et en référence à W. Allen cité en exergue de ce blog - Secret Story et consorts -, un extrait de "Ma vie de merde" serait peut-être plus approprié).

Re-egotisation: tentative, en général désespérée et vaine, de renverser le processus de déségotisation.

No comment
(Photo: Reuters)